La spécificité du sport est souvent invoquée devant les instances internationales (OMC) et européennes pour justifier des régimes dérogatoires. Ces derniers se réduisent comme peau de chagrin dès lors qu’ils cherchent à passer l’épreuve de la confrontation judiciaire. On se souvient notamment des arrêts Bosman et Malaja qui ont bouleversé, sans grande surprise, l’économie du sport.
Le droit du sport n’échappe pas l’application des droits fondamentaux, cela n’est pas nouveau. L’actualité judiciaire nous en offre deux exemples frappants, qui étonnent le mouvement sportif alors même qu’ils sont hautement prévisibles.
1/ La sanction disciplinaire du fait d’autrui est inconstitutionnelle
Cela ressemble, en droit pénal, à une Lapalissade, tant le principe de l’exclusion de la responsabilité du fait d’autrui est strictement appliqué. La responsabilité pénale du fait d’autrui n’est que très exceptionnellement retenue, uniquement lorsque la loi le prévoit : responsabilité directe du chef d’entreprise en matière d’hygiène et de sécurité des travailleurs, responsabilité directe du directeur de la publication en matière de délits de presse et responsabilité indirecte du titulaire de la carte grise en matière de paiement des amendes liées à la circulation.
En dehors de ces cas, seul est pénalement responsable l’auteur des faits visés et interdits par la loi.
Au sens du droit européen, une sanction administrative dès lors qu’elle implique une conséquence pécuniaire ou la perte d’un droit, est assimilée à une sanction pénale prise par une autorité juridictionnelle. Ainsi un règlement administratif, tel un règlement de fédération sportive, lorsqu’il prévoit une sanction par une commission de discipline doit appliquer les principes généraux reconnus en matière de procédure pénale. Une commission disciplinaire sportive ne pourra pas prendre de sanction sans que l’intéressé ait été entendu, ait eu le temps de préparer sa défense et ait la possibilité de faire appel de la décision.
En matière de responsabilité du spectacle sportif, la jurisprudence admet de manière constante que l’organisateur d’une manifestation sportive est tenu à une obligation de sécurité des personnes assistant à un spectacle, notamment lorsqu’il est payant. Le Club recevant doit ainsi, avec son personnel, garantir le déroulement paisible des matchs et s’assurer auprès d’une compagnie pour tous les risques qu’il fait courir aux tiers ou à ses «clients », les spectateurs. Les règlements des Fédérations Sportives vont généralement beaucoup plus loin dans les contraintes imposées aux Clubs pour assurer le bon déroulement des rencontres.
Ainsi l’article 129.1 du règlement général de la FFF « Les clubs qui reçoivent sont chargés de la police du terrain et sont responsables des désordres qui pourraient résulter avant, pendant ou après le match du fait de l'attitude du public, des joueurs et des dirigeants ou de l'insuffisance de l'organisation.
Néanmoins, les clubs visiteurs ou jouant sur terrain neutre sont responsables lorsque les désordres sont le fait de leurs joueurs, dirigeants ou supporters. »
La finale de la Coupe de France 2004 opposant le PSG à Châteauroux, a été émaillée par des incidents graves impliquant des supporters parisiens. Ces derniers s’étant livrés à de nombreuses dégradations et jets de fumigènes le PSG a été condamné, dans un premier temps à 20.000 € d'amende et un match à huit clos avec sursis (sursis révoqué à la suite d'autres incidents) sur le fondement de l’alinéa 2 de l’article 129.1 du règlement général de la FFF, disposant que « les clubs visiteurs ou jouant sur terrain neutre sont responsables lorsque les désordres sont le fait de leurs joueurs, dirigeants ou supporters ».
Le PSG, a saisi le tribunal administratif de Paris pour contester le bien fondé de cette décision.
Le 16 mars 2007 le Tribunal administratif de Paris a jugé inconstitutionnel l'article 129.1 du règlement général de la FFF qui rend un club visiteur responsable de ses supporters. A l'origine de cette décision : la méconnaissance du "principe de personnalité des peines". Le juge administratif retient en effet, qu’ "En énonçant que les clubs visiteurs ou jouant sur terrain neutre sont responsables lorsque les désordres sont le fait de leurs supporters, l'article 129.1. (...), même inspiré (...) par l'objectif d'assurer un déroulement satisfaisant des rencontres, méconnaît le principe de personnalité des peines et est donc inconstitutionnel."
Le PSG s’est logiquement réjouit de la décision et la Ligue Nationale de Football représentée par Frédéric Thiriez, a déclaré que ce jugement était "un très mauvais signal lancé à tous ceux qui s'efforcent de lutter contre les violences dans les stades" ajoutant que "ce jugement a été rendu contrairement à la position du comité olympique et contrairement à la position du commissaire du gouvernement." Sur le fond, le président de la LFP a affirmé qu'un tel jugement, s'il était confirmé en appel, "aurait beaucoup d'effets néfastes. Ainsi, le club visiteur n'aurait plus intérêt à encadrer ses supporteurs, car il ne serait plus responsable de leur conduite. Le club organisateur serait poussé à refuser les supporters du club visiteur pour éviter de voir sa responsabilité engagée. Bref, tout le monde fuirait ses responsabilités pour s'en remettre à la seule police."
La LFP a manifesté son intention de saisir la cour administrative d’appel, espérant la voir réformer le jugement du 16 mars 2007.
Sans préjuger de la position de la Cour Administrative d’Appel, ce premier jugement rappelle une fois de plus au mouvement sportif français, qu’il ne saurait échapper aux principes fondamentaux reconnus par notre ordre juridique. En l’occurrence les principes de personnalité des peines et de responsabilité personnelle sont issus de l’articles 121-21 du code pénal selon le quel « nul n’est responsable pénalement que de son propre fait » et a été érigé au rang constitutionnel par le Conseil Constitutionnel par sa Décision N° 70 DC des 19 et 20 janvier 1981.
2/ L’obligation pour un sportif stagiaire de signer un contrat de travail avec son club formateur est contraire au principe de libre exercice d’une activité professionnelle.
Petite révolution de palais : dans tous grands sports professionnels, les Clubs formateurs cherchent à se protéger face aux appétits des grands clubs. Les fédérations et les Ligues ont adopté des règlements contraignant le sportif stagiaire ayant suivi sa formation dans un Club de signer son premier contrat de travail avec son Club formateur, pour une durée minimale. Selon les sports cette durée est fixée par le Statut du Stagiaire entre trois et cinq ans. Il s’agit pour le Club formateur de recueillir les fruits de ses efforts de matière formation afin d’inciter à la formation, plutôt qu’aux emplettes chez le concurrent. Si le jeune sportif refuse le contrat, il ne peut généralement pas exercer pendant une durée de deux à trois ans. Autant dire que cette perspective est très dissuasive. On se souvient pourtant de quelques contre-exemples : le cas de Laurent Sciarra, meneur de jeu de l’Equipe de France de Basket médaillé d’agent à Sydney qui avait refusé de signer son premier contrat professionnel avec son club formateur de Hyères-Toulon alors en ProB pour s’engager avec le PSG, Club de ProA (désormais PBR puis Paris-Levallois à compter de 2007/2008). Il avait été écarté des parquets pendant une saison complète.
Contraindre un jeune sportif à travailler pour tel ou tel employeur peut paraître du point de vue de ce dernier, comme une disposition moyenâgeuse, d’autant que face à la contrainte, la faculté de négociation des dispositions financières du jeune sportif est très limitée. Ainsi le footballeur, basketteur (…) en fin de formation pourra se voir proposer un contrat par son Club formateur au minimum de la convention collective, alors que sa valeur sur le marché, notamment international, peut être cent fois supérieure, voire bien davantage si l’on prend en compte la NBA, la Champions League et l’Euroleague. A noter qu’en NBA, les joueurs entrant dans la Ligue n’ont pas le choix de leur employeur ; le choix est déterminé par la place dans la draft elle-même fixée par le classement de la franchise. Les franchises NBA peuvent s’échanger les tours de draft, comme dans une bourse. En cours d’exécution des contrats les franchises NBA peuvent s’échanger les joueurs en fonction de la valeur des contrats sans que ces derniers aient leur mot à dire. C’est le prix d’un modèle économique qui a fait ses preuves…
Face aux sollicitations des Clubs concurrents et des chasseurs de têtes, le sportif professionnel à fort potentiel arrivant au terme de sa formation a-t-il réellement le choix et peut-il refuser de signer le contrat qui lui est pratiquement imposé ?
La Cour Administrative d'Appel de Lyon nous apporte un début de réponse par un arrêt, 26 février 2007. En l’espèce l’Olympique Lyonnais avait sur le fondement de l’article 261 de la Charte du football professionnel, engagé la responsabilité d’Olivier Bernard, joueur formé au club, lui reprochant d’avoir signé son premier contrat professionnel avec Newcastle United. Le jugement de première instance avait donné raison à l’Olympique Lyonnais. La Cour d’appel vient de réformer le premier jugement retenant qu’une telle obligation est contraire au principe fondamental de libre exercice d’une activité professionnelle, invalidant l'obligation de signer un tel contrat. Le Conseil d'Etat a été saisi en cassation.
Sans préjuger de la décision du Conseil d’Etat il est certain que lorsque le joueur en fin de formation ne souhaite pas donner suite au contrat qui lui est proposé, l’autonomie de la volonté implique que le contrat ne puisse lui être imposé et qu’à ce titre les règlements des fédérations sont contraires au principe de liberté d’exercice d’une activité professionnelle. Le Statut du Joueur Stagiaire s’il ne peut contenir une telle contrainte pourrait en revanche contenir une clause de dédit formation qui obligerait le joueur à rembourser le coût réel de sa formation. Une indemnité supérieure au coût réel de la formation serait contraire à liberté d’exercice car dissuasive pour le sportif et spéculative pour le Club formateur.
Pour autant si la question juridique est assez claire, le modèle économique peut-il se passer de la spéculation sur les jeunes potentiels, dont la vente à des grands clubs étrangers permet de financer la formation des générations suivantes et une partie des recettes des Clubs ? La réponse n’est plus juridique, elle est politique.
Enfin, la question reste entière pour le cas où un jeune sportif aurait signé son premier contrat professionnel et chercherait à le faire annuler pour vice du consentement, dès lors que son consentement se limite à : travailler pour le Club formateur ou être sans emploi pendant trois ans et mettre en péril sa carrière.
© Xavier le Cerf - avocat