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lundi 3 mars 2008

Un parfum de résistance

Si pour Patrick Süskind notre langage ne vaut rien pour décrire le monde des odeurs (Le Parfum), comment le droit, langage de la description et de la qualification par essence, pourrait-il d’une part, appréhender une fragrance et d’autre part, permettre sa protection ?

On sait qu’un parfum est une somme considérable de travail, de talent, de savoir-faire et d’investissements. La naissance d’un parfum est le fruit d’un savant alliage entre l’art et l’industrie. La création d’un parfum est aussi et surtout une question d’appropriation : appropriation par le créateur, ce qui est du ressort du droit ; appropriation par le consommateur, ce qui est l’affaire du marketing et des émotions. Le droit de la propriété intellectuelle, droit de l’appropriation, permet-il l’appropriation d’une odeur ainsi créée ? Un parfum est-il une œuvre de l’esprit, une invention, un signe distinctif ou tout simplement une découverte qui était là, par nature, accessible à tous et n’attendant que son découvreur qui sera récompensé par la postérité ?

Les enjeux et conséquences de la qualification juridique sont considérables car seule l’appropriation permet de stimuler l’innovation et la création en offrant à l’inventeur ou au créateur les moyens de vivre de son activité de s’engager dans un processus de valorisation. Et en la matière, la position du droit français est instable, comme souvent lorsque la technique et l’art s’unissent au service d’une industrie.

Un arrêt du 25 janvier 2006 de la Cour d’appel de Paris avait admis qu’un parfum (en l’occurrence Dune de Dior) était susceptible de constituer une œuvre de l’esprit protégeable au titre du Code de la propriété intellectuelle, dès lors qu’il répondait aux exigences du critère de l’originalité. La 1ère chambre civile de la Cour de cassation a apporté un démenti à cette interprétation dans une décision en date du 13 juin 2006 (Cass. Civ. 1ère, 13 juin 2006, n°1006, Nejla X c. Soc. Haarmann & Reimer), la Cour de Cassation en jugeant, assez brutalement, et à mon sens contre l’air du temps, que « la fragrance d’un parfum, qui procède de la simple mise en oeuvre d’un savoir-faire, ne constitue pas la création d’une forme d’expression pouvant bénéficier de la protection des œuvres de l’esprit par le droit d’auteur ».

Or le droit d’auteur protège bien les créations de l’esprit, quels qu’en soit le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination sans dresser une liste exhaustive des œuvres éligibles au titre du droit d’auteur ni exclure explicitement celles perceptibles par l’odorat. La fragrance d’un parfum pourrait ainsi, sous réserve d’être originale, être considérée comme une œuvre de l’esprit en parfaite adéquation avec l’article L 112-1 du code de la propriété intellectuelle.

Alors que plusieurs juridictions européennes avaient admis que la création d'un parfum constitue une oeuvre de l'esprit, protégé par le droit d'auteur (Arrêt de la Cour suprême néerlandaise, 16 juin 2006, LJN AU8940, C04/372HR), l’élaboration d’une fragrance serait donc, pour le juge suprême français, ni une œuvre de l’esprit ni une invention -supposant un effet technique- mais procèderait de la simple mise en oeuvre d'un savoir-faire.

Pourra-t-on s’en contenter ? La Cour d’Appel d’Aix-en-Provence, peut-être davantage sensible aux effluves méditerranéennes et provençales, a rendu un arrêt enivrant pour toute une industrie grassoise, le 13 septembre 2007 allant directement à l’encontre de l’arrêt de cassation d’à peine un été plus ancien. L’affaire opposait (encore) la société Lancôme à un concurrent, fournisseur d'un jus très proche de son parfum vedette, Trésor. La Cour provençale de conclure ainsi par l’affirmative que la création d'un parfum est protégée par le droit d'auteur pour finalement retenir la contrefaçon au regard des ressemblances dépassant significativement ce qu'il est d'usage de constater entre deux parfums originaux.

Notre Cour et il y a tout lieu de s’en réjouir, n’a pas manqué de pousser la Cour de Cassation dans ses derniers retranchements. Il appartiendra donc à cette dernière d’entériner la protection de la fragrance d’un parfum original par le droit d’auteur ou de casser à nouveau, contre l’air du temps. Si la Cour de Cassation devait à nouveau camper sur ses positions, ce devrait être compris comme un criant appel au législateur : il sera en effet opportun que le législateur s’intéresse à la question, car si la Cour invalide la protection par le droit d’auteur, ce pan de l’industrie du luxe s’en trouvera grandement fragilisé. Mais si la Cour valide la protection par le droit d’auteur et accorde le monopole des droits d’exploitation au créateur, quid du consommateur ? Il faudrait lui accorder une licence légale d’exploitation, car en en faisant profiter de son parfum son entourage, une élégante en ferait en réalité une représentation publique soumise à autorisation … sous peine d’action en contrefaçon ! Cela ferait du parfum une affaire privée. Or, une femme sans parfum est une femme sans avenir (Coco Chanel). La Cour de cassation devra donc également prendre soin de dégager un nouveau principe, que j’appelle la licence légale implicite.

© Xavier le Cerf