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mercredi 2 juillet 2008

« Sur place ou à emporter ? »

Sous cette phrase très familière, pour qui fréquente plus ou moins régulièrement les grandes chaînes de restauration rapide, se cache en réalité une pratique institutionnalisée visant à rompre l’unicité des prix au détriment des consommateurs.

La manœuvre est simple, selon que vous préfériez vous asseoir à une magnifique table en formica et profiter des doux cris des enfants gambadant la bouche maculée de ketchup ou que vous préfériez l’ambiance plus feutrée du déballage de vos sandwichs dans un parc ou devant la télévision, le restaurateur vous classera instantanément dans la catégorie des TVA au taux normal ou TVA au taux réduit. Le prix payé, lui, restera inchangé.

Dans le premier cas, vous paierez 10 €, vous consommerez sur place et constaterez avec toute la passion que cela implique, que votre ticket indique un montant de TVA de 1,96 €. Dans le second cas, vous paierez toujours 10 €, pour la même commande, mais lorsque vous quitterez le restaurant vous serez submergé par l’envie irrépressible de consulter votre ticket, sur lequel apparaîtra magiquement un montant de TVA équivalent à 55 centimes d’€.

Est-ce bien normal, chers consommateurs, que le restaurateur empoche la différence et, par voie de conséquence, qu’il procède à une augmentation de prix pour les imprudents qui osent refuser le formica et les bambins alors que, mettons nous un instant à la place de tout bon directeur de restaurant, « Ces gens là monsieur, nous coûtent moins cher monsieur ».

Bien non, cela n’est pas normal. C’est d’ailleurs ce qu’a relevé un député UMP, Monsieur François-Michel GONNOT, lequel annonce, sur son blog, avoir demandé à Madame Christine Lagarde « si cette façon de faire, qui va à l’encontre des intérêts du consommateur et de son pouvoir d’achat, a été approuvée par l’administration fiscale ».

La question N°23573, publiée au JO du 20 mai 2008, est en substance la suivante :

« M. François-Michel Gonnot attire l'attention de Mme la ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi sur les pratiques de la plupart des enseignes de la restauration rapide (Mac Donald, KFC, Quick...) qui pratiquent des prix uniques sur les achats à consommer sur place et sur les achats à emporter. Or ces achats sont soumis à des taux de TVA différents : 19,6 % pour les premiers et 5,5 % pour les seconds. Les prix pratiqués hors taxes sont donc différents pour des achats identiques faits dans des conditions identiques. De façon paradoxale, le consommateur qui consomme sur place paye, en hors taxes, ses achats moins chers que celui qui les emporte. Ceci va à l'inverse de toute logique, et l'on peut estimer que ces pratiques relèvent de la tromperie pour le consommateur. Il lui demande en conséquence si cette façon de faire, qui va à l'encontre des intérêts du consommateur et de son pouvoir d'achat, a été approuvée par l'administration fiscale. Il souhaite également savoir si celle-ci a les moyens véritables de contrôler les TVA dues et si le Gouvernement juge que le consommateur trouve son compte dans ces pratiques surprenantes. »

Gageons que la réponse soit à la hauteur des attentes des consommateurs et, à tout le moins, que ces derniers soient alertés de la situation.

© Cédric Palazzetti

lundi 16 juin 2008

Commerce électronique : Responsabillité des intermédaires, les enchères montent.

Une internaute avait mis en vente un sac Hermès sur le site d’enchères en ligne eBay qui s’est avéré être une contrefaçon. La société Hermès a alors non seulement assigné la vendeuse sur le fondement de la contrefaçon, mais encore le site de vente aux enchères. La volonté d’Hermès d’essayer d’endiguer la vente en ligne de produits contrefaits ne fait pas un doute.

Le Tribunal de Grande Instance de Troyes dans un jugement du 4 juin 2008 retenant qu’eBay remplissait, certes la fonction technique d’hébergeur qui permet aux termes de la loi sur la confiance dans l’économie numérique du 21 juin 2004 (LCEN) d’écarter la responsabilité de l’intermédiaire technique. Cependant les juges retiennent que les activités de la plate-forme dépassaient ce simple rôle. Ils ont ainsi retenu la qualification d’ « éditeur de services de communication en ligne à objet de courtage » pour engager la responsabilité civile d’eBay dès lors que cette dernière met à disposition des outils de mise en valeur du bien, organise les cadres au sein desquels sont présentés les objets en vente en contrepartie d’une rémunération et édicte des règles de fonctionnement. Toutefois le Tribunal de Grande Instance de Troyes écarte la qualification « d’éditeurs de contenus », qui aurait impliqué une responsabilité de plein droit telle que définie par la LCEN, aux motifs que les objets contrefaits étaient mis en ligne par l’internaute et non par eBay elle-même, et que la mise en page imposée par le site n’obéissait pas à un choix éditorial mais était nécessaire à la visibilité des annonces.

C’est donc sur le fondement de la qualification « éditeur de services de communication en ligne à objet de courtage » que les juges de première instance ont retenu la responsabilité solidaire d’eBay alors que jusqu'à présent, les tribunaux ne condamnaient que le contrefacteur sans atteindre la plate-forme de ventes, considérée comme un simple intermédiaire technique que la loi du 21 juin 2004 dispense de l'obligation de surveiller les contenus (hormis certains cas précis tels l’incitation à la haine raciale, pornographie infantile, etc.). Ce n'est en principe que dans le cas où l’intermédiaire technique ne retire pas un contenu illicite porté à sa connaissance qu'il engage sa responsabilité. Seul l'éditeur de contenu, personnellement à l'origine de la diffusion endosse la responsabilité de plein droit définie par la LCEN.

Ce jugement inédit, s’il devait être confirmé en appel, est un véritable coup de semonce quand au modèle technique des plates-formes de vente en ligne mises à la disposition des internautes. Ces dernières dont le rôle dépasserait celui de simple intermédiaire technique devraient alors exercer un contrôle sur les contenus diffusés, ce qui parait techniquement très lourd à mettre en œuvre mais également très onéreux.

On peut s’interroger sur la décision qui aurait été rendue si Hermès avait opté pour la voie pénale plutôt que la voie civile pour faire sanctionner les faits de contrefaçon. L’internaute aurait certainement été condamnée. Mais qu’en aurait-il été d’eBay ? Une condamnation pénale d’eBay aurait relevé à mon sens d’un cas de condamnation pénale du fait d’autrui et n’aurait donc pas pu être légitimement prononcée. Cela signifie, que pour les intermédiaires techniques le risque civil dépasse aujourd’hui le risque pénal.

© Xavier le Cerf

lundi 3 mars 2008

Un parfum de résistance

Si pour Patrick Süskind notre langage ne vaut rien pour décrire le monde des odeurs (Le Parfum), comment le droit, langage de la description et de la qualification par essence, pourrait-il d’une part, appréhender une fragrance et d’autre part, permettre sa protection ?

On sait qu’un parfum est une somme considérable de travail, de talent, de savoir-faire et d’investissements. La naissance d’un parfum est le fruit d’un savant alliage entre l’art et l’industrie. La création d’un parfum est aussi et surtout une question d’appropriation : appropriation par le créateur, ce qui est du ressort du droit ; appropriation par le consommateur, ce qui est l’affaire du marketing et des émotions. Le droit de la propriété intellectuelle, droit de l’appropriation, permet-il l’appropriation d’une odeur ainsi créée ? Un parfum est-il une œuvre de l’esprit, une invention, un signe distinctif ou tout simplement une découverte qui était là, par nature, accessible à tous et n’attendant que son découvreur qui sera récompensé par la postérité ?

Les enjeux et conséquences de la qualification juridique sont considérables car seule l’appropriation permet de stimuler l’innovation et la création en offrant à l’inventeur ou au créateur les moyens de vivre de son activité de s’engager dans un processus de valorisation. Et en la matière, la position du droit français est instable, comme souvent lorsque la technique et l’art s’unissent au service d’une industrie.

Un arrêt du 25 janvier 2006 de la Cour d’appel de Paris avait admis qu’un parfum (en l’occurrence Dune de Dior) était susceptible de constituer une œuvre de l’esprit protégeable au titre du Code de la propriété intellectuelle, dès lors qu’il répondait aux exigences du critère de l’originalité. La 1ère chambre civile de la Cour de cassation a apporté un démenti à cette interprétation dans une décision en date du 13 juin 2006 (Cass. Civ. 1ère, 13 juin 2006, n°1006, Nejla X c. Soc. Haarmann & Reimer), la Cour de Cassation en jugeant, assez brutalement, et à mon sens contre l’air du temps, que « la fragrance d’un parfum, qui procède de la simple mise en oeuvre d’un savoir-faire, ne constitue pas la création d’une forme d’expression pouvant bénéficier de la protection des œuvres de l’esprit par le droit d’auteur ».

Or le droit d’auteur protège bien les créations de l’esprit, quels qu’en soit le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination sans dresser une liste exhaustive des œuvres éligibles au titre du droit d’auteur ni exclure explicitement celles perceptibles par l’odorat. La fragrance d’un parfum pourrait ainsi, sous réserve d’être originale, être considérée comme une œuvre de l’esprit en parfaite adéquation avec l’article L 112-1 du code de la propriété intellectuelle.

Alors que plusieurs juridictions européennes avaient admis que la création d'un parfum constitue une oeuvre de l'esprit, protégé par le droit d'auteur (Arrêt de la Cour suprême néerlandaise, 16 juin 2006, LJN AU8940, C04/372HR), l’élaboration d’une fragrance serait donc, pour le juge suprême français, ni une œuvre de l’esprit ni une invention -supposant un effet technique- mais procèderait de la simple mise en oeuvre d'un savoir-faire.

Pourra-t-on s’en contenter ? La Cour d’Appel d’Aix-en-Provence, peut-être davantage sensible aux effluves méditerranéennes et provençales, a rendu un arrêt enivrant pour toute une industrie grassoise, le 13 septembre 2007 allant directement à l’encontre de l’arrêt de cassation d’à peine un été plus ancien. L’affaire opposait (encore) la société Lancôme à un concurrent, fournisseur d'un jus très proche de son parfum vedette, Trésor. La Cour provençale de conclure ainsi par l’affirmative que la création d'un parfum est protégée par le droit d'auteur pour finalement retenir la contrefaçon au regard des ressemblances dépassant significativement ce qu'il est d'usage de constater entre deux parfums originaux.

Notre Cour et il y a tout lieu de s’en réjouir, n’a pas manqué de pousser la Cour de Cassation dans ses derniers retranchements. Il appartiendra donc à cette dernière d’entériner la protection de la fragrance d’un parfum original par le droit d’auteur ou de casser à nouveau, contre l’air du temps. Si la Cour de Cassation devait à nouveau camper sur ses positions, ce devrait être compris comme un criant appel au législateur : il sera en effet opportun que le législateur s’intéresse à la question, car si la Cour invalide la protection par le droit d’auteur, ce pan de l’industrie du luxe s’en trouvera grandement fragilisé. Mais si la Cour valide la protection par le droit d’auteur et accorde le monopole des droits d’exploitation au créateur, quid du consommateur ? Il faudrait lui accorder une licence légale d’exploitation, car en en faisant profiter de son parfum son entourage, une élégante en ferait en réalité une représentation publique soumise à autorisation … sous peine d’action en contrefaçon ! Cela ferait du parfum une affaire privée. Or, une femme sans parfum est une femme sans avenir (Coco Chanel). La Cour de cassation devra donc également prendre soin de dégager un nouveau principe, que j’appelle la licence légale implicite.

© Xavier le Cerf