La volonté d’optimiser certaines innovations à caractère technologique est aujourd’hui largement développée auprès de nombreuses entreprises. Le législateur s’est d’ailleurs fait le relais privilégié de cette évolution et on reconnaît désormais plusieurs outils spécialement dédiés à ce phénomène. Que ce soit au travers la loi sur l’innovation et la recherche, du développement des pôles de compétitivité, de l’élaboration d’un régime fiscal dédié via le statut de la jeune entreprise innovante, du crédit d’impôt recherche ou de l’encouragement de l’investissement dans ce type de structures, la notion de société innovante est aujourd’hui consacrée voire encouragée pour constituer un vecteur de valorisation des fruits de la recherche publique ou privé. Dans ce cadre, la première appréhension juridique se fait souvent par le biais du droit de la propriété intellectuelle reléguant au second rang (du moins temporellement) les autres disciplines. Certes, certains modes de valorisation permettent de s’affranchir de ces dernières si on reconnaît comme tels les transferts technologiques par voie de cession ou de licence consentie à des tiers. Dans ce cas, il n’incombe qu’au récipiendaire de l’innovation de se préoccuper du « véhicule » juridique adaptée à son exploitation économique. Il n’empêche que dans les autres hypothèses, où l’auteur de l’innovation entend participer activement à sa valorisation par le bais d’une structure sociétaire, le droit des sociétés et ses matières périphériques propres au droit des affaires dans son ensemble (ingénierie contractuelle, fiscalité, distribution, droit social, etc.) doivent constituer un socle de réflexion et de management dans le choix et l’élaboration du mode d’exploitation. Cette vision globale s’érigeant ainsi au rang de démarche stratégique jouera un rôle déterminant dans la phase d’appropriation de l’innovation (I) et sera incontournable au moment de son optimisation (II).
De façon schématique, il existe deux scenarii distincts. Dans le premier, l’entreprise sociétaire a vocation à être titulaire des droits portants sur l’innovation qui est développée pour son compte (A) ; dans le second, la société est automatiquement cocontractante du titulaire desdits droits (B).
Dès l’émergence d’un projet d’entreprise reposant sur une innovation à caractère technologique, il convient d’intégrer le processus de protection dans une réflexion plus large tenant compte de son devenir au sein de sa structure d’exploitation. En effet, cette innovation étant par nature vouée à l’évolution durant sa phase de recherche et développement, celle-ci aura vocation à circuler au travers plusieurs patrimoines dont certains pourront être à terme concurrents imposant en conséquence une attention spécifique. A ce niveau, il est opportun d’utiliser à titre de cadre les outils contractuels propres au droit des sociétés dédiés à la gestion de la période de formation pour centraliser au même instant et en un seul acte l’ensemble des problématiques inhérentes au droit des affaires.
Par ce biais, il est utile de penser en amont les « contours » de la future structure tout en faisant coïncider les droits de cette dernière avec ceux de ses fondateurs. Dans le cadre de conventions généralement dénommées « promesses de société », les futurs associés devront, en sus de la détermination de l’équilibre politique et capitalistique de la société, intégrer dans leur réflexion l’innovation et les droits rattachés tout en envisageant de façon sereine les conséquences d’un échec du projet pour des raisons techniques ou humaines (cette promesse inclura logiquement les modalités juridiques d’un partage des droits en présence ou de l’abandon d’un ou plusieurs des fondateurs ayant des droits sur l’innovation). Il sera également question d’établir les éventuelles co-titularités et les conditions de reprises de certains actes fondateurs par la société (enregistrement des noms de domaine, dépôts de marques, demandes de brevets, développement de logiciels, conclusions de partenariats industriels, etc..) afin d’éviter tout blocage ultérieur. Cette démarche doit permettre d’assurer l’intégrité des droits détenus par la future structure entre les fondateurs mais aussi auprès des tiers intervenant pour le compte de ces derniers en établissant dans un cadre contractuel une stratégie commune et concertée. Cette convention sera ainsi le terrain privilégié de l’établissement d’une politique de gestion collective des droits de propriété intellectuelle vis-à-vis des fondateurs eux-mêmes mais aussi de tous intervenants externes (sous-traitants, co-développeurs, distributeurs, stagiaires, etc.) en soumettant chaque fondateur à une discipline adaptée dès qu’ils devront conclure un acte avec ces derniers. Une fois cette réflexion effectuée, l’organisation du projet sera facilitée et pourra se poursuivre par l’établissement rapide de statuts définitifs lesquels devront prévoir des mandats autorisant un ou plusieurs fondateurs à agir pour certains actes pour le compte des autres membres et d’un pacte d’actionnaire.
Ce recours aura ainsi pour intérêt principal d’organiser très tôt entre les futurs associés un fonctionnement ordonné du projet intégrant comme enjeu central l’innovation elle-même et obligeant à régler en amont des conflits potentiels entre les fondateurs. Cela permettra par exemple d’assurer contractuellement la remontée des droits dans le patrimoine social et de faciliter la conclusion globale d’engagements de confidentialité et de non concurrence dont on sait qu’ils sont difficiles à obtenir de façon autonomes.
Dans d’autres hypothèses, que ce soit par la volonté des fondateurs qui préfèrent isoler le patrimoine détenteur des droits sur l’innovation ou, en raison de la nature du projet qui confère à un établissement de recherche publique la titularité originelle desdits droits, la future entreprise n’aura vocation qu’à détenir un droit indirect d’exploitation sur l’innovation dont l’intensité notamment en terme d’exclusivité aura une incidence juridique, comptable et fiscale sur la valorisation de cette dernière.
C’est notamment le cas pour l’ensemble des projets initiés par certains agents publics pour valoriser les résultats de leurs « propres » recherches. Il conviendra dans ce cas d’amorcer la réflexion sur la future structure dès les premières ébauches du projet à savoir dès la validation du dossier de valorisation présenté à l’organe de tutelle pour être généralement tranché par
C’est ainsi la société en formation qui interviendra utilement dans la négociation des licences éventuelles assorties ou non d’option d’achat portant sur la ou les innovations (les hypothèses de cessions pures étant rares en pratique). Une option sur licence pourra être envisagée afin de renforcer juridiquement le projet et de permettre sans risque d’exposer ledit projet au regard des futurs associés, partenaires ou tiers notamment dans le cadre de la recherche de financement privé (business angels, VCI, etc.) ou publics (Concours national de la création d’entreprise, collectivités locales, pôles de compétitivités, etc.). Ce type d’instrument juridique aura comme avantage supplémentaire de fixer juridiquement certains aspects de la future licence de telle sorte que l’évolution future du projet ne pourra plus avoir d’incidence sur les dispositions financières ou juridiques. En outre, la licence définitive étant forcément conclue entre l’établissement public et une personne morale existante, la réflexion permettra d’accélérer le processus d’immatriculation dès que cette dernière deviendra nécessaire.
II – LE DROIT COMME OUTIL D’OPTIMISATION DE L’INNOVATION
Dans sa quête de croissance, l’entreprise innovante entreprend une véritable course contre la montre pour ce qui concerne l’accès à son marché de référence. Pour ce faire, elle aura souvent recours à l’investissement privé faute pour elle d’avoir un accès suffisant au concours bancaire pour financer sa recherche et son développement. Afin d’anticiper ce recours (B), il conviendra dès que possible d’optimiser la valorisation de l’innovation (A).
A) Le droit comme moyen de valorisation de l’innovation
Dès avant la phase d’intégration d’éventuels investisseurs, les porteurs de projets innovants se heurteront souvent à la problématique de dotation en capital de leur future société. Même s’il parait possible d’opter pour une structure préalable du type de
Sous la condition expresse que certains fondateurs détiennent ou co-détiennent à titre personnel des droits de propriété intellectuelle sur l’innovation (brevet, marque, logiciel, noms de domaine, etc.), il sera concevable d’avoir recours au mécanisme traditionnel des apports en nature pour imputer au bilan une valeur comptable qui sera établie par un commissaire aux apports. Les autres fondateurs pourront alors avoir recours à des apports en numéraire pour confier à la société la trésorerie d’amorçage.
Calculée selon des méthodes financières reconnues par la pratique, cette première valorisation permettra d’influencer le partage du capital social au profit du ou des détenteurs des droits sur l’innovation qui seront le plus souvent les inventeurs initiaux. Ceux-ci pourront ainsi aménager une majorité politique plus facilement que par le seul recours aux apports en numéraire (certains instruments tels que les BSPCE pourront permettre le cas échéant et en sens contraire de rééquilibrer les relations capitalistiques entre associés). En outre, cette valeur servira, en sus d’une dotation intéressante des capitaux propres, comme base de négociation vis-à-vis des tiers intéressés au projet étant précisé que ces derniers exigeront naturellement que l’ensemble des droits apportés soient véritablement détenus par la société d’où l’importance du bon déroulement de la phase d’appropriation de cette dernière (Cf. Supra).
En tout hypothèse, dès qu’il sera question d’intégrer des investisseurs au capital de la future société, la question de la valorisation de l’entreprise subordonnera le coût, la quote-part de capital créée cédée en contrepartie et certainement le montant de la prime d’émission qui y sera assortie.
A ce moment crucial dans son développement, la rédaction des statuts et pacte d’actionnaires prenant en compte les premières étapes de valorisation de l’entreprise innovante sera un allié efficace pour envisager les conséquences patrimoniales et politiques de la modification du capital social de la société. Pareillement, la réflexion devra inclure le recours possible à des émissions d’obligations par exemple convertibles ou remboursables en actions pour diminuer la dilution immédiate des fondateurs dans le capital social. Il est évident dans cette étape de concevoir les difficultés pratiques d’une modification statutaire précipitée dès avant l’entrée des investisseurs. Au contraire, dès leur rédaction initiale, il aura été important de soumettre les associés/actionnaires fondateurs à une certaine « discipline » par le biais de certaines clauses permettant de conserver entre eux un certain équilibre notamment concernant les règles de cession d’actions à des tiers. Il en découlera la possibilité de fixer statutairement une véritable stratégie de valorisation.
Afin d’optimiser la valorisation de l’innovation, l’approche devra ainsi être globale et intégrer toutes les dimensions du projet d’entreprise : juridique, fiscal, social, financement et patrimoine intellectuel.
© Nicolas IVALDI
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